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LA MISSION DEVANT LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS

AVIS DU CONSEIL D’ETAT
N°303422 et 304214 du 4 juin 2007
Publié au JORF n°153 du 4 juillet 2007 (p.11372 - Texte n°39)


« I- Sur l'application dans le temps des nouvelles dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale

1. Dès lors que l'application de ces dispositions, qui déterminent les droits respectifs des victimes d'accidents et des caisses de sécurité sociale qui leur versent des prestations à l'égard des tiers responsables, n'est pas manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire - que d'ailleurs elles ne prévoient pas -, elles sont applicables sans que soit nécessaire l'intervention d'un tel texte. Cette applicabilité immédiate ne fait cependant pas obstacle à ce que le Premier ministre fasse usage de son pouvoir réglementaire d'exécution des lois pour établir par décret une nomenclature des postes de préjudice et une table de concordance de ces derniers avec les prestations servies par les tiers payeurs.

2. Si les droits de la victime et les obligations du tiers responsable d'un dommage doivent être appréciés en fonction des dispositions en vigueur à la date de l'accident qui en constitue le fait générateur, il en va différemment s'agissant des règles qui régissent l'imputation sur la dette du tiers responsable des créances des caisses de sécurité sociale, lesquelles, compte tenu des caractéristiques propres au mécanisme de la subrogation légale, sont applicables aux instances relatives à des dommages survenus antérieurement à leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée.

 

II. - Sur l'interprétation de ces nouvelles dispositions

1. En ce qui concerne la notion de « postes de préjudices »

Il ressort de la loi du 21 décembre 2006, éclairée par ses travaux préparatoires, qu'un poste de préjudice se définit comme un ensemble de préjudices de même nature directement liés aux dommages corporels subis par la victime directe. La détermination par le juge des postes de préjudices doit tenir compte de l'objet de ces dispositions, qui est essentiellement de limiter le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale aux seules indemnités mises à la charge du responsable du dommage qui réparent des préjudices ayant donné lieu au versement de prestations. Il en résulte que la nouvelle rédaction de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale n'impose de procéder à une évaluation distincte par poste que pour autant que le tiers payeur établit qu'il a versé ou versera à la victime une prestation indemnisant un préjudice relevant de ce poste ; par suite, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les postes de préjudice ne donnant lieu au versement d'aucune prestation imputable fassent l'objet d'une indemnisation globale au profit de la victime.

Une prestation ne peut être regardée comme prenant en charge un préjudice, au sens du troisième alinéa de l'article L. 376-1, qu'à la condition d'avoir pour objet cette réparation, d'être en lien direct avec le dommage corporel et d'être versée en application du livre 3 du code de la sécurité sociale. Les prestations ne présentant pas de caractère indemnitaire, notamment celles qui sont versées au titre de l'aide sociale, restent donc exclues de l'exercice du recours subrogatoire.

Il résulte également des troisième et cinquième alinéas de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que ce recours ne peut pas, en principe, s'exercer sur des indemnités réparant des préjudices à caractère personnel, c'est-à-dire ceux qui ne consistent ni dans l'obligation d'exposer une dépense, ni dans la perte d'un revenu, sous réserve du cas où la caisse établirait avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice.

En l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice patrimoniaux et personnels et les modalités d'imputation des prestations de sécurité sociale sur les indemnités mises à la charge du tiers responsable, il y a lieu, lorsque les circonstances de l'espèce font apparaître le versement de prestations correspondantes, de distinguer, à tout le moins, les postes de préjudice suivants :

a) Dépenses de santé :

Ce poste peut notamment inclure les dépenses actuelles ou futures correspondant aux frais de soins et d'hospitalisation et aux frais pharmaceutiques et d'appareillage. Le recours des caisses de sécurité sociale est susceptible de s'exercer au titre des prestations ayant pour objet la prise en charge de tout ou partie de ces dépenses.

b) Frais liés au handicap :

Peuvent notamment y figurer les frais de logement et de véhicule adaptés et les dépenses liées à l'assistance temporaire ou permanente d'une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne. Le recours de caisses peut s'exercer au titre des prestations ayant pour objet la prise en charge de tout ou partie de ces dépenses, notamment la majoration de la pension d'invalidité pour aide d'une tierce personne prévue à l'article R. 341-6 du code de la sécurité sociale.

c) Pertes de revenus :

Il peut s'agir des revenus dont la victime a été ou sera privée en raison du dommage ainsi que des pertes de ressources subies par les ayants droit. Le recours des caisses peut s'exercer sur ce poste au titre des prestations ayant pour objet de compenser la perte de revenus, notamment les indemnités journalières mentionnées au 5° de l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité prévue à l'article L. 341-1 du même code, hors majoration pour tierce personne, ainsi que, pour les ayants droit, la pension de veuve ou de veuf prévue à l'article L. 342-1 de ce code.

d) Incidence professionnelle et scolaire du dommage corporel :

Ce poste peut notamment inclure la perte d'une chance professionnelle, l'augmentation de la pénibilité de l'emploi occupé, les dépenses exposées en vue du reclassement professionnel, de la formation et de l'adaptation au poste occupé ou à un nouveau poste et la perte d'une pension de retraite. Le recours des caisses peut notamment s'exercer au titre des prestations prenant en charge les frais de formation et les frais de journée de reclassement professionnel mentionnés au 1° de l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale ainsi que les autres prestations en nature visées au 3° du même article.

e) Autres dépenses liées au dommage corporel :

Il peut s'agir des frais de conseil et d'assistance et, pour les ayants droit, des frais d'obsèques et de sépulture. Le recours des caisses peut s'exercer s ur ce poste à raison des prestations versées au titre de l'assurance décès, conformément aux dispositions de l'article L. 361-1 du code de la sécurité sociale.

f) Préjudices personnels :

Ceux-ci peuvent faire l'objet d'une indemnisation globale sauf dans le cas, prévu au cinquième alinéa de l'article L. 376-1, où la caisse établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un préjudice ayant un tel caractère. Dans une telle hypothèse, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires et, pour les ayants droit, la douleur morale et les troubles dans les conditions d'existence.

2. En ce qui concerne la priorité définie au quatrième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale

Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 21 décembre 2006 que le législateur a entendu que la priorité accordée à la victime sur la caisse pour obtenir le versement à son profit des indemnités mises à la charge du tiers responsable, dans la limite de la part du dommage qui n'a pas été réparée par des prestations, s'applique, notamment, lorsque le tiers n'est déclaré responsable que d'une partie des conséquences dommageables de l'accident. Dans ce cas, l'indemnité mise à la charge du tiers, qui correspond à une partie des conséquences dommageables de l'accident, doit être allouée à la victime tant que le total des prestations dont elle a bénéficié et de la somme qui lui est accordée par le juge ne répare pas l'intégralité du préjudice qu'elle a subi. Quand cette réparation est effectuée, le solde de l'indemnité doit, le cas échéant, être alloué à la caisse.

Toutefois, le respect de cette règle s'apprécie poste de préjudice par poste de préjudice, puisqu'en vertu du troisième alinéa le recours des caisses s'exerce dans ce cadre.

3. En ce qui concerne la méthode qu'il appartient au juge de suivre

Afin de respecter l'ensemble des exigences résultant de la nouvelle rédaction de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, il appartient au juge, pour chacun des postes de préjudice définis ci-dessus, de procéder de la manière suivante.

Il y a lieu tout d'abord d'évaluer le montant du préjudice total en tenant compte de l'ensemble des dommages qui s'y rattachent. A ce titre, l'ensemble des dépenses directement liées à l'atteinte corporelle résultant de l'accident doivent être comptabilisées, qu'elles aient été prises en charge par un organisme de sécurité sociale ou soient demeurées à la charge de la victime. Les pertes doivent être évaluées à leur montant réel, avant toute compensation par des prestations. La circonstance que la victime ne demande réparation que des pertes de revenus restées à sa charge ne dispense pas le juge, dès lors que la caisse demande le remboursement des prestations compensatoires, de tenir compte des pertes réelles de revenus pour fixer le montant de ce poste de préjudice.

Le juge fixe ensuite, par poste de préjudice, la part demeurée à la charge de la victime, compte tenu des prestations dont elle a bénéficié et qui peuvent être regardées comme prenant en charge un préjudice. Il incombe à cet égard aux caisses de sécurité sociale de préciser dans leurs écritures l'objet et le montant de chaque prestation dont elles demandent le remboursement.

Il convient alors de déterminer le montant de l'indemnité mise à la charge du tiers responsable au titre du poste de préjudice, ce montant correspondant à celui du poste si la responsabilité du tiers est entière et à une partie seulement en cas de partage de responsabilité.

Le juge accorde enfin à la victime, dans le cadre de chaque poste de préjudice et dans la limite de l'indemnité mise à la charge du tiers, une somme correspondant à la part des dommages qui n'a pas été réparée par des prestations de sécurité sociale, le solde de l'indemnité mise à la charge du tiers étant, le cas échéant, accordé à la caisse.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Grenoble, à la cour administrative d'appel de Versailles, à M. Luc Lagier, aux consorts Guignon, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

Il sera publié au Journal officiel de la République française. »

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